Épisode 3: Un début dans la flibuste
Pris par le temps pourri de la Galice, je l’ai un peu délaissé, ce pauvre Raveneau.
Passant de Charybde en Scylla, je l’ai laissé sous la responsabilité du gouverneur en cette fin de XVIIe siècle, dans les chaleurs des Grandes Antilles.
Mais que peut devenir un jeune parisien aux Indes, désormais seul, sans attache, vivant sur les deniers du gouverneur?
J’imagine que la fréquentation de quelque tripot local l’aura vite inspiré: la flibuste connaît encore ses heures de gloire à cette époque, et quelques grands noms se disputent le haut du pavé. Capitaines farouches et maraudeurs, couturés d’aventures contre Anglais, Hollandais et Espagnols, héros aux grands coeurs et criminels en cavale, armée de l’ombre au service du Roi sous ces latitudes, ils sont toujours en recherche d’équipage pour peupler leurs navires et repartir « en course » comme on dit.
Et l’un d’entre eux aura tapé dans l’oeil de Raveneau: le capitaine Laurent de Graff.
L’embarquement à son bord « lui parut un des plus beaux jours de sa vie », murmure-t-il dans son journal, des étoiles encore pleins les yeux. Hollandais d’origine, ancien transfuge au service de l’Espagne, le fringant capitaine est l’un des (nombreux) représentants de la flibuste française, à son plein apogée à cette époque. La bride est lâche, car Versailles est loin. Fléau des Indes et des Espagnols, il se rangera pourtant en fin de carrière, armé d’un office royal qui lui assurera bonne retraite. De là, comme beaucoup, il fera son possible pour se faire oublier.
Mais revenons à Raveneau. L’histoire ne dit pas quel est son rôle précis à bord.
Membre en plein, homme à tout faire, garçon de courses, c’est la pleine liberté. Ses premières aventures l’emmènent au large du Venezuela, près des Antilles néerlandaises, où une petite mésaventure arrive.
Les corsaires sont terriblement méfiants et extrêmement malins. Quand ils aperçoivent une proie potentielle à la vigie, ils hissent un pavillon ami ou de nation alliée…pour la mettre en confiance et les laisser approcher. Mais dans l’autre bateau, pas si bête! Un mouvement trop hardi vers la cible trahit l’intention. Il faut donc louvoyer, tirer des coups de canon de salutations, parlementer en signaux, partir du principe que l’autre n’est pas toujours ce que l’on croit. Si bien qu’au pire de la situation, la confusion peut parfois être totale.
Et c’est ce qui leur est arrivé.
Raveneau et Laurent croisent la route d’un autre corsaire français, Jean Roze, à bord d’une petite tartane.
Ils se signalent, mais ne se reconnaissent pas. De Graaf pense avoir affaire à un navire espagnol et Roze à un marchand. Des premiers tirs sont échangés et des tonneaux de poudre installés, prêts à faire sauter le navire en cas de combat pour éviter la captivité. Puis…en s’approchant, on finit quand même par se reconnaître! Peu s’en fallut.
À malin, malin et demi: les deux arroseurs ont manqué de finir trempés.
Prochaine étape: Curaçao et son gouverneur… incommode.
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