Télémaque Les nouvelles aventures daily 1 https://telemaque.skipperblogs.com Wed, 12 Jun 2024 00:00:00 +0000 Acores <p>Les îles des Acores sont absolument magnifiques !<br></p> Wed, 12 Jun 2024 00:00:00 +0000 /blog/uncategorized/acores /blog/uncategorized/acores Du Petit Paris à Pompéi <p align="justify">Je n'avais encore jamais été en Martinique avant cette traversée, mais j'avais déjà entendu parler, il y a bien longtemps, lors d'un cours de géologie au collège, de l'éruption de la montagne Pelée en 1902. En effet, ce volcan qui semble aujourd'hui si tranquille et si débonnaire, aux vertes pentes et en permanence couronnée de nuages comme le rocher de Gibraltar, cache en réalité une âme de tueur qui a déjà toute une ville sur la conscience.</p><p style="text-align: center;" align="justify"><br></p><div class="fancy"><img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Saint_Pierre_Montagne_Pelee.jpg"></div><p><em>La rade de Saint-Pierre au temps de sa splendeur</em></p><p><br></p> <p align="justify">De mémoire de collégien, c'est un volcan de type explosif. Sa lave est visqueuse et s'expulse donc difficilement et cette expulsion prend la forme d'une explosion brutale qui emporte avec elle une partie de la montagne et anéanti généralement ce qui se trouve à proximité. C'est exactement l'inverse de ce qu'on a vu à La Palma.</p> <p align="justify">Et ce qui devait arriver arriva le 8 mai 1902. Comme pour Pompéi, malgré tant de signes avant-coureurs (fuites des animaux, coulées de boues, tremblements de terre et autres échappements de fumées), les autorités recommandèrent le calme et ne voyaient aucune nécessité à évacuer la jolie ville de Saint-Pierre, le "Petit Paris" des Antilles, ville fondée par Pierre Belain d'Esnambuc, le premier Français sur les lieux. Le matin du même jour, une nuée ardente (un énorme nuage de gaz et de cendres dans lequel il fait un confortable 1000 degrés Celsius) dévala la pente en direction de la rade à la vitesse de 500 km/h. Autant dire qu'il ne sert plus à rien de s'enfuir lorsqu'on est sur le chemin. La ville fut intégralement soufflée. Seuls les murs les plus solides résistèrent. L'eau n'arrêtant rien, les bateaux à la rade subirent le même sort et finirent par couler après avoir pris feu.</p> <p align="justify">Environ 30 000 personnes furent tuées, mais quelques-uns survécurent et le plus connu d'entre eux est sans nul doute Louis-Auguste Cyparis, ouvrier noir arrêté pour grabuge et enfermé dans un cachot dont l'épaisseur des murs et le manque de fenêtre lui sauvèrent probablement la vie.</p><p align="justify"><br></p><div class="fancy"><br></div><p><img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Cyparis.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;"></p><p><br></p> <p align="justify">Pendant plusieurs dizaines d'années, la ville restera désertique ou presque. Son territoire communal sera annexé par une de ses voisines et ce n'est que tout doucement qu'elle est renaît de ses cendres, sans toutefois, même encore aujourd'hui, atteindre sa splendeur passée.</p><p align="justify"> <img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Pelee_1902_3.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;"> </p><p style="text-align: justify;">Les voiliers de plaisance ont remplacé les trois-mâts de commerce. Des constructions récentes enjambent les ruines. Un musée flambant neuf retrace la catastrophe et quelques vieux éléments épars, fondations sortant d'une touffe d'herbes ou murs de pierres sans toit font penser qu'il fut des moments plus glorieux pour ce qui n'est désormais qu'un petit bourg qui fut le creuset de tant d'histoires.</p><p><br></p> Tue, 29 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/du-petit-paris-a-pompei /blog/histoires-de-mer/du-petit-paris-a-pompei Être caraïbe Rémi <p style="text-align: justify;">      Tout le monde connaît les Caraïbes comme étant un ensemble géographique, composé essentiellement des Petites Antilles (l'arc antillais, allant d'Aruba aux Îles Vierges) et des Grandes Antilles (les grandes îles, de Porto Rico à Cuba). De belles plages, beaucoup de rhum, des locaux peu vêtus et à l'accent rouleur, des fruits exotiques très sucrés, des oiseaux colorés, des serpents sournois et des mygales velues. Mais avant d'être un lieu de retraite et de villégiature pour ceux qui pense qu'il n'y a pas mieux qu'eux, c'était avant un pays de Cocagne, sillonné par des hommes peu vêtus, d'allure farouche et qui connaissaient ce coin comme personne : les Indiens caraïbes. </p> <p style="text-align: justify;">     Car c'est bien le nom d'un peuple en réalité. Appelés "les Sauvages" par les premiers colons, ceux-ci n'ont pas omis dans leurs témoignages successifs de leur rendre un hommage, souvent discret et indirect, en soulignant leur admiration pour l'incroyable équilibre que ceux-ci avaient réussi à établir avec la nature qui les entourait. </p> <p style="text-align: justify;">     Ce qui a marqué les premiers Européens qui les virent, ce fut leur simplicité. Ils n'avaient pas peur et se promenaient nus, ce qui a choqué ces braves gens pour qui tout bon chrétien se doit d'être savamment emmitouflé, indépendamment du climat, n'ayant que la tête et les mains qui dépassent. Cela émerveilla Colomb et Las Casas, mais choqua leurs successeurs, car c'est à cela qu'on reconnaît les Barbares: ils se baladent à poil. </p> <p style="text-align: justify;">     D'autres notent encore qu'ils sont très beaux et se portent très bien. Jacques Bouton, religieux français du XVIIe siècle et qui n'est pas particulièrement tendre avec eux, observe tout de même qu'il n'y a ni boiteux, ni aveugle, ni infirme chez eux, qu'ils sont remarquablement bien proportionnés et en pleine sa<img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Carib_indian_family_by_John_Gabriel_Stedman.jpg" style="width: 339px; height: 600px; float: right;margin:20px 0 20px 20px">nté. La même chose est remarquée par le Père Labat, missionnaire dominicain en Martinique et en Guadeloupe de 1694 à 1706.</p> <p style="text-align: justify;">      Les Caraïbes (ou Kalinagos pour les hommes, Kaliponam pour les femmes) sont un peuple originaire du nord du Venezuela et qui s'est réparti dans le bassin caribéen à la fin du IXe siècle. La légende, colportée par les futurs colons européens, en fait des brutes sanguinaires et cannibales qui ont exterminé sans pitié un peuple doux et bon qui les a précédés sur les îles et qui s'appelait les Arawaks. Mais la recherche actuelle tend à faire penser que si remplacement il y eut, il ne fut pas brutal, mais progressif, avec une lente assimilation, que l'historiographie prouve grâce à un changement dans le style des poteries (la vaisselle parle). Les Sauvages de Bouton ou de Labat se trouvent donc innocentés d'un génocide.</p> <p style="text-align: justify;">     Une originalité : les Caraïbes se recouvrent le corps de rocou. Le rocou est une teinture végétale que l'on tire des fruits d'un arbre que l'on appelle le rocouyer. Il est d'un rouge éclatant, presque comme le carmin, disait Labat. Tous les matins, les femmes caraïbes aide les hommes à s'en recouvrir entièrement, ce qui les aident à lutter contre l'ardeur du soleil et la piqûre des moustiques.</p> <p style="text-align: justify;">     Trait original que Labat rapporte: ils parlent différentes langues, selon que l'on est un homme, une femme ou un ancien. Chaque dialecte reflète la différence de rôle, et l'anonyme de Carpentras nous en donne la teneur, qui montre à quel point au sein d'un même groupe les langages peuvent être différents : Pour dire "bonjour" les hommes disent « Maloï quaï y moussou! », et les femmes « Acquiétédé ! ». Cette différence en rappelle une autre, parallèle : chez les Caraïbes, c'est Madame qui travaille! Monsieur bulle la plupart du temps dans son hamac, cause avec ses amis ou boit du ouicou (boisson fermentée faite à partir de manioc). Il ne se met que rarement en peine de partir chasser ou pêcher. Madame par contre, cuisine, lave, prépare, élève et bien souvent porte ce que Monsieur a chassé. Les Kaliponam se sont ainsi bien souvent attiré la juste admiration des nouveaux venus d'Europe.</p> <p style="text-align: justify;">     À l'arrivée des Français en Martinique, les Caraïbes se sont repliés à l'intérieur des terres, et essentiellement sur la façade est (dite "au vent" ou "cabesterre"). Puis finalement ont complètement vidé les lieux pour aller se loger sur la Dominique, ou encore aujourd'hui subsiste une petite troupe de 3000 têtes sur le territoire de la commune de Salybia.</p> Thu, 24 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/etre-caraibe /blog/histoires-de-mer/etre-caraibe Chapitre 12 - Epilogue Rémi <p style="text-align: justify;">     Il fallut du temps pour que ces pauvres marins du Dei Gratia puissent s’innocenter d’un crime qu’il n’avait pas commis, car le procureur resta persuadé qu’il y en avait eu un et que les parties prenantes étaient toutes de mèches pour transformer le sang en or. Aussi, quand ce procès se termina enfin quelques mois plus tard, le juge Cochrane s’aligna sur Solly-Flood et la récompense de l’équipage fut-elle réduite à la portion congrue. Les expertises avaient beau jeu si ce n’était de démontrer, du moins abonder dans le sens des sauveteurs. Mais cela ne leur fut d’aucun secours et s’ils repartirent avec leur liberté et un petit pécule, ils devaient bien sentir que tout cela avait été plutôt arraché que dû.</p><p style="text-align: justify;">     Quand l’armateur du malheureux navire vint appuyer David Morehouse, il s’en fallut de peu qu’il soit lui aussi happé dans la même tourmente en fut quitte pour repartir chez lui avec le même traitement. Le navire lui-même fit peau neuve avec une nouvelle cargaison et un nouvel équipage, mais il connut bien des difficultés que lui amenaient ses fantômes. Boudé et isolé, il eut le sort des navires maudits: Longtemps à quai, passant entre des mains toujours plus douteuses (les seules qui voulurent bien encore de lui) et ne servit par la suite que d'outil de fraude et de trafic qui finit tristement une bien courte carrière d’à peine plus de dix ans, échoué volontairement sur un récif tropical, avalé par un océan qu’il n’avait pas offensé.</p><p style="text-align: justify;">     Quant à Briggs et son équipage, il n’en fut malheureusement plus question. Les recherches n’aboutirent pas, même si ça et là, au gré des anecdotes terribles dont les marins sont friands, un détail qui pourrait donner une idée de leur destin remontent de temps en temps à la surface des idées. Mais rien de certain ne put jamais être fermement établi, si ce n’est qu’ils naviguent peut-être encore ensemble vers des terres plus clémentes, où la folie humaine est encore inconnue.</p> Tue, 15 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-12-epilogue /blog/histoires-de-mer/chapitre-12-epilogue Mi traversée <p>13°45'56 N 42°34'52W</p><p>Avec les alizés qui ont repris leur travail, mais de manière timdie, nous avons pu faire un départ tout en douceur dans de (très) bonnes conditions emportant ainsi un bon capital moral malgré les deux reports et 10 jours d'attentes avant départ.</p><p>Les premiers jours nous avons �fait du sud� afin de descendre en profondeur dans les alizés et eviter d'éventuelles pannes de vent. La houle est minime et c'est assez confortable. Les conditions étaient mêmes si favorables que nous avons envoyé le spi durant 3 jours et même durant la nuit. Nous avons tout de même rencontrés des grains à plusieurs reprises qui nous ont fait passé quelques moments Orangina (faut bien scouer, sinon la pulpe...).</p><p>Le 6ème jour ça s'exclame sur le pont �C'est quoi que vous avez pêché ? Encore une coryphène ? Vous voulez pas la relacher ?�</p><p>En effet, après de nombreux mois bredouille, la canne a bien donné durant cette première moitié de traversée. Nous avons fait de temps à autre un jour de pause pour pouvoir finir la dorade pêchée la veille, mais à la fin, on commence à souhaiter qu'une autre espèce de poisson daigne mordre à notre victorieux apât. Un ptit thon, ce serait bien....La vie à bord s'aggrémente volontier de petits rien qui au bout du compte influent beaucoup sur le moral du bord : un petit saucisson en guise d'apéro, écouter les autres bateaux parler à la radio, se baigner au milieu de l'océan, s'offrir le luxe d'une micro douche à l'eau douce (et chaude!), passer 1h à contempler un lever de lune. Les jours passants, les aliments frais se font de plus en plus rares. A commencer par le pain. Avec les quelques kilos de farine en réserve, nous décidons de se faire un petit concours de boulangerie. Chacun son jour, chacun son pain. Les techniques diversent et donnent des résultats étonnants. En tout cas l'on apprend qu'en mer, même raté, du pain reste délicieux. Alors on ne se prive pas.</p><p>A bord nous avons un satisfactiomètre; un appareil de mesure du niveau de bonheur de l'équipage et du bateau. Il s'agit en fait de l'anémomètre. Quand il indique moins de 10 noeuds de vent (18km/h), le bateau roule, les voiles claques et nos nerfs aussi. Quand il remonte vers 15 noeuds, le bateau file droit avec entrain, notre sourire s'élargis et nos nuits s'adoucissent. L'éloge de la lenteur à du bon et personne n'est ici pour faire une course, mais si l'on peut se ménager des bords confortables, c'est tant mieux.Le compteur décompte désormais, il nous reste un peu plus de 1000 miles à parcourir. Avec des vents un tout petit peu plus soutenus comme attendu sur cette deuxième moitié, l'on peut espérer arriver en Martinique autour du 4-5 février.On vous laisse sur cette photo du coucher de soleil au 5ème jour et on vous dit à tout à l'heure!</p> Sat, 29 Jan 2022 00:00:00 +0000 /blog/uncategorized/mi-traversee /blog/uncategorized/mi-traversee Les Canaries - Le Film Alain <p>Vous me connaissez, ma plume n'étant pas aussi affûtée que celle de Rémi, je préfère partager avec vous via des images.</p> <p>C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui de revenir sur nos 6 mois passés aux Canaries en images et en musique. Ce petit film est un patchwork de ce que nous avons pu voir sur toutes les îles. Les séquences peuvent être très différentes, mais représentent bien hétérogénéité des nombreux paysages de cet archipel :</p> <p> <iframe style="width:100%; height:400px" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" title="Les Canaries - Le film" src="https://tube.tchncs.de/videos/embed/56411015-2c6d-4770-813f-469706e3e211?warningTitle=0&peertubeLink=0" allowfullscreen="" frameborder="0"><br></iframe> </p> <p><br></p> <p><br></p> Fri, 26 Nov 2021 00:00:00 +0000 /blog/voyage/les-canaries-le-film /blog/voyage/les-canaries-le-film Chapitre 5 - À bord d’un fantôme Rémi <p>De retour en Atlantique, à bord du <i>Dei Gratia</i>.</p><p>Un bruit de crissement de semelles tira Morehouse de sa réflexion. Oliver, son second, se tenait dans un semi-garde-à-vous droit devant lui, sa tête baissée laissant voir le haut de son visage.</p><p>— Jetez un regard là-dedans. Dites-moi si vous voyez la même chose que moi. </p><p>Il lui tendit ses jumelles à son tour.</p><p>Sans se faire prier, Oliver s’exécuta. Il contempla le navire chahuté par la houle pendant trois bonnes minutes à travers l’objectif. Le bruit des voiles parvenait maintenant jusqu’à eux, donnant une dimension sonore encore plus sinistre à l’apparition.</p><p>— Le pont est vide, il n’y a personne, ponctua-t-il au bout d’un moment, écarquillant les yeux de plus en plus. </p><p>— Comment est-ce possible ? Briggs est un gars sérieux pourtant.</p><p>— Le gréement semble ne pas avoir été manipulé depuis quelques jours… on dirait même qu’il a subi quelques coups de vent, sans que rien ne soit fait . </p><p>Puis comme une réalisation : </p><p>— Mais où sont-ils donc tous ? </p><p>— Arthur! Le porte-voix! hurla le capitaine.</p><p>Une fois de retour avec l’instrument, Arthur le lui tendit, et Morehouse, prenant une longue respiration, fit retentir dans le grand cornet de cuivre une voix qui aurait assourdi Stentor : « Mary Celeste! Il y a quelqu’un à bord ? » Mais une fois que l’écho s’était tu, seul le vent répondit de son souffle tranquille à son imprécation.</p><p>La troisième tentative vit le bout de sa patience. Il congédia Arthur à la timonerie, et se tourna vers son second, toujours de marbre : </p><p>— Je ne sais pas ce qui leur est arrivé, toujours est-il que ce n’est pas normal et que je ne peux pas laisser la Mary Celeste dériver seule comme cela. Vous allez y aller Oliver, prenez trois hommes avec vous et faites-moi un rapport détaillé sur tout ce que vous verrez à leur bord. On va tirer cela au clair. </p><p>Seule la houle ballotait le navire légèrement avec une régularité de métronome. La brise soutenue qui passait dans le gréement faisait hululer les cordages et accompagnait le claquement humide des lambeaux de voiles détrempés par les embruns. Les grincements des bordées, le chant sec d’une poulie, quelques bruits métalliques épars constituaient la symphonie qui désormais berçait la Mary Celeste au gré des flots. Pas un son, pas une voix, rien d’humain ne transperçait cette pesante complainte.</p><figure class="image"><img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/doris_rowing.jpg"></figure><p>Quand le canot chargé d’Oliver Deveau et ses trois matelots s’arrima sur le flanc bâbord et qu’ils eurent franchi le parapet, c’était bien ce triste spectacle qui les frappèrent le plus. Comme seuls au milieu d’un village abandonné précipitamment dans la nuit, sans explications, sans même le plus élémentaire des indices qui puissent laisser imaginer en quelques minutes ce qui avait bien pu se passer. Leur présence à bord épaississait le mystère plus qu’elle ne l’éclaircit. </p><p>Les appels à haute voie ne laissant que la brise leur répondre, Deveau donna quelques ordres, puis répartit ses hommes pour que chacun aille fouiller un coin de la Mary Celeste. Et comme de juste, il se réserva la fouille de la timonerie et de la cabine de Briggs. </p><p>Peu de gens de marine avaient autant d’assurance que Deveau, ce qui a bien des reprises avait étonné ses amis autant que les membres des équipages auxquels il avait appartenu. La quarantaine bien portante, ne manquant jamais de rien, joufflu et volontiers rieur, c’était un optimiste de la vieille école. Au premier abord, sa méfiance, qui cachait sa surprise face à ce qu’il ne prévoyait pas, se noyait vite dans une imperturbable bonhommie qui formait sa nature profonde. Bon buveur, volontiers charmeur, l’œil plein de malice cerné par d’abondants favoris descendants d’une coupe broussailleuse couleur de jais lui donnait un air de Louis-Philippe des mers. Quand il donnait ses ordres, sa voix puissante et rude raisonnait aussi puissamment à travers le pont d’un navire que dans une taverne de Nouvelle-Écosse.</p><p>Mais ce qu’il voyait là remettait en cause jusqu’aux fondements les plus intimes de sa conscience de marin. Rien ne l’avait préparé à vivre ce qui est communément l’étoffe même des racontars et des élucubrations de piliers des troquets pêcheurs. Bien que familier et de bonne compagnie, se prêtant toujours volontiers aux échanges d’anecdotes, il restait néanmoins d’un esprit ferme et résolument rationnel, regimbant face aux superstitions pourtant si communes chez les gens de mer, qu’il prenait pour de la naïveté, ou pire : pour de la bêtise.</p><p>Remontant le pont, l’esprit concentré et sur ses gardes, le dos voûté comme anticipant l’agression soudaine d’un fauve à l’affût, il avançait avec précaution, comptant presque ses pas et scrutant la moindre surface et le plus léger détail d’un regard inquiet et inquisiteur, comme s’il allait pouvoir poser aux objets les questions qui le taraudaient.</p><p>Sur le pont, un seau roulait au gré du balancement du bateau dont le cliquetis de l’anse en fer accompagnait sa marche. Quand il arriva devant la porte de la cabine du poste de barre, fermée, il lui fallut quelques coups d’épaules pour la faire céder. Et ce qu’il vit manqua de le pétrifier.</p><p><br> </p> Sat, 07 Aug 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-5-a-bord-d-un-fantome /blog/histoires-de-mer/chapitre-5-a-bord-d-un-fantome Chapitre 4 - Madame Briggs Rémi <p> </p><p>Un mois auparavant, à bord de la <i>Mary Celeste.</i></p><p>— Il me manque encore deux malles !</p><p>— Ma chère, vous êtes sûre qu’elles ne sont pas déjà à bord ? Vous avez été vérifier dans la cale de cargaison ? lança Benjamin Briggs, un brin narquois, assis devant sa table à carte et regardant son épouse Sarah s’agiter devant les grands équipets de rangement avec un amusement qu’il avait bien du mal à dissimuler. D’un pas rapide, elle passait d’une pièce à l’autre de la cabine, des piles de linges proprement pliés dans les bras.</p><p>— Dans la cale à cargaison ? Ça leur ressemblerait pourtant bien, à vos imbéciles de dockers, d’avoir l’idée brillante de coincer mes robes de saisons quelque part entre deux tonneaux d’alcools ! Je vais avoir l’air brillante en Europe, traînant partout avec moi une odeur de pharmacie !</p><p>Cette remarque fut dite sur le ton d’une ironie dont l’amertume soudainement réalisée lui empourpra le visage, en se rendant compte que ce qu’elle venait de dire pouvait bien devenir une réalité.</p><p>— Ne m’aidez pas surtout ! pesta-t-elle avant de se pencher dans une des malles déjà ouvertes, au point de presque y disparaître jusqu’à mi-corps.</p><p>— Vous voyez bien que je suis occupé, ma chère. Il faut bien quelqu’un pour faire les calculs ici ! repartit-il en faisant mine de se replonger dans les tables de marées et les éphémérides étalées devant lui.</p><p>— Les calculs ! Ils ont bon dos vos calculs ! Vous aurez l’air fin quand vous n’aurez plus une chemise à vous mettre sur le dos ! Ce n’est pas vos marées ni vos latitudes qui vous tiendront chaud, croyez-moi ! </p><p>Briggs afficha un large sourire: </p><p>— Si c’est vos robes de saisons que l’on a perdues, ma pudeur sera sauve.</p><p>— Riez donc ! Ce que l’on dira de moi rejaillira sur vous ! </p><p>Sarah Briggs imita alors un accent bourgeois en pinçant les lèvres: </p><p>— La femme du capitaine de la <i>Mary Celeste</i> ? Celle qui sent le chloroforme ?</p><p>— Tant mieux ! Vous nous les ferez dormir ! </p><p>Et son rire éclata, au grand dam de son épouse, qui au bout de quelques instants, davantage vaincue par la nervosité que par l’esprit de son mari, finit par accorder un léger sourire à sa boutade.</p><p>— Allez au moins jeter un coup d’œil pour moi, ajouta-t-elle, implorante.</p><p>Se doutant que la patience de son épouse n’était pas à défier davantage, malgré le bon esprit retrouvé, il étouffa le long soupir que lui causa ce léger sursaut d’impatience dompté par la résignation et se tourna vers la porte en pivotant sur sa chaise pour ne pas avoir à y aller: </p><p>— Albert ! hurla-t-il.</p><p>Le bruit d’un pas empressé suivi, suivi d’une irrégularité sonore qui trahissait une chute évitée de peu, répondit à cette exclamation impérieuse. La porte s’ouvrit et la figure pâle de Richardson apparut dans l’embrasure, encore plus blanche que d’habitude.</p><p>— Capitaine ? murmura-t-il, interrogateur, regardant alternativement l’un et l’autre, mais en particulier Sarah Briggs, qui cachait mal l’inconfort que lui causait la présence du second.</p><p>— La saison ne vous réussit décidément pas mon ami. Cela dit nous allons bientôt partir. Enfin, je vous appelle parce que l’on attend encore deux malles, qui, d’après mon épouse, ne sont pas encore arrivées. Auriez-vous l’obligeance de bien vouloir vous renseigner à ce sujet ? Le capitaine força le ton pompeux de sa question afin de lui en faire comprendre l’insignifiance.</p><p>— Nous ne partirons pas sans elles ! ajouta sèchement Sarah, en affectant de se concentrer sur le pliage d’une chemise.</p><p>— Je vais me renseigner, Madame. </p><p>Il referma la porte calmement derrière lui, et c’est un pas bien plus tranquille qui résonna en s’éloignant. </p><p>Au bout d’une trentaine de secondes, sans avoir bougé, Sarah brisa le silence rassuré qui avait ramené Benjamin Briggs à ses tables:</p><p>— Celui-là me fait peur. Il est tout blanc, on dirait un mort.</p><p>Il leva un instant les yeux, puis replongea dans sa lecture tout en commentant:</p><p>— Sarah, facilitez-moi la vie, de grâce. Il s’est démené comme un beau diable pour que tout soit à bord en temps et en heure. Il a même pensé à faire charger votre piano qui, Dieu sait, nous prend une place folle dans la cabine. Albert nous aura été bien utile alors ménagez-le, que cela soit maintenant ou pendant la traversée.</p><p>L’atmosphère se retendit un peu. Mme Briggs, vexée par l’ostensible incompréhension dont son mari faisait preuve se réfugia dans la pièce voisine pour y finir son tri. De son côté, il sortit une vieille pipe d’écume d’un tiroir, la cura machinalement avec un porte-plume tout en regardant relisant les dernières entrées du journal de bord.</p><p>— Si le temps ne s’améliore pas, nous ne sommes pas partis, pensa-t-il à haute voix, en tombant sur le dernier rapport météorologique que lui avaient fait parvenir les gardes-côtes. Enfin, quelques jours de retard ne tueront pas les affaires.</p><p>Dehors tombait un crachin bruineux, on encore distinguait les contours de Staten Island, toute proche. La <i>Mary Celeste</i> attendait tranquillement, ancrée dans l’embouchure de l’Hudson, que vienne le jour où le vent qui chassera ces nuages bas la poussera également vers l’Est, dans le vaste océan.</p> Thu, 22 Jul 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-4-madame-briggs /blog/histoires-de-mer/chapitre-4-madame-briggs Chapitre 3 - Un bateau ivre Rémi <p> </p><p>De retour en Atlantique, un mois plus tard, à bord du <i>Dei Gratia</i>.</p><p>Visant la direction indiquée par le timonier, Morehouse trouva effectivement, apparaissant et disparaissant au milieu des vagues, un petit amas noir hérissé de ce qui semblait être une mâture. </p><p>— Un brick ! dit-il, par réflexe. </p><p>À cette distance, il lui était difficile de distinguer les choses avec précision, et croiser un navire en haute mer ne relevant pas de l’exception, il aurait sans doute regagné sa cabine en tançant vertement son subalterne de l’avoir dérangé pour si peu de chose. Mais un détail presque imperceptible, quoique confirmé par la distance qui se réduisait, l’amena à s’attarder dans son observation. </p><p>— La grand-voile de misaine flotte comme un drapeau, le grand mât n’en porte aucune et les deux focs sont sortis… Voilà une disposition pour le moins…inhabituelle.</p><p>— Il y a quelque chose qui cloche, murmura Arthur en se rapprochant de l’oreille du capitaine, légèrement balbutiant de nervosité.</p><p>— Corrigez le cap pour aller dans sa direction. On va aller voir ça de plus près. S’il y a un problème, ils auront peut-être besoin d’assistance. Morehouse ne lâcha pas les jumelles, et s’employa à s’équilibrer le mieux possible, tant ce qu’il voyait semblait confirmer les intuitions de son marin, qu’il avait d’abord cru tellement improbables qu’elles en avaient paru stupides.</p><p>Au fur à mesure que le <i>Dei Gratia</i> traçait son sillon en direction de l’inconnu, une angoisse diffuse montait lentement en Morehouse, la même qui anticipe la peur face aux phénomènes dont l’esprit ne se figure pas le sens et qui recèle en eux l’inexplicable, antichambre du surnaturel.</p><p>Le nom du brick ivre n’était pas encore lisible, mais ce qui l’inquiétait le plus était l’absence apparemment totale d’équipage sur le pont. Pas âme qui vive. Les voiles à postes faseyaient brutalement au vent, quelques-unes étaient déchirées comme après une tempête, et personne pour les manœuvrer ou les ajuster.</p><p>— Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? laissa-t-il entendre au timonier, à qui la peur avait donné une lividité presque cadavérique.</p><p>— Mais ressaisissez-vous, bon sang, Arthur ! J’ai encore besoin de vous ! Dites-moi plutôt si vous arrivez à lire son nom, moi je n’y vois rien.</p><p>Et il lui tendit impérieusement les jumelles.</p><p>Quelques minutes de silence attentif passèrent avant que ne vienne la réponse : </p><p>— Mary… Cel… je vois à peine la fin.</p><p>—Mary Celeste? Ce n’est pas possible ! Donnez-moi ça !</p><p>Et il lui arracha brutalement la paire des mains, manquant presque de lui démettre le cou, le pauvre ayant pris soin de passer sa tête dans la courroie. </p><p>— Pas possible, soupira-t-il, mais ils ont quitté New York dix jours avant nous, ils devraient déjà avoir passé Gibraltar. </p><p>Puis, se ravisant : </p><p>— Va prévenir Oliver, dis-lui de se tenir prêt à embarquer avec trois hommes dans un des canots. On va s’approcher, je veux en avoir le cœur net. </p><p>— Qu’est-ce que Briggs a encore fabriqué ? se demanda-t-il en pensant au commandant du brick errant. Comment il a fait pour rester coincé ici aussi longtemps ?</p><p> </p> Sat, 10 Jul 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-3-un-bateau-ivre /blog/histoires-de-mer/chapitre-3-un-bateau-ivre Chapitre 2 - Vers les docks Rémi <p> </p><p><i>Environ un mois auparavant</i>,<i> sur la côte américaine.</i></p><p>— Allons allons, messieurs ! Pressons un petit peu, on ne va pas y passer la nuit !</p><p>Un petit quadragénaire à la figure pâle, barrée d’une moustache finement brossée au-dessus des lèvres, le regard vif et le geste rendu nerveux par le froid humide, houspillait la poignée de dockers qui s’affairaient à charger de lourds tonneaux sur un brick fraîchement repeint et qui brillait comme un sou neuf dans le port de New York. Sa voix enrouée sonnait comme une cloche fêlée, entremêlée de toussotements sourds. Étroitement calfeutré dans un manteau d’hiver bleu foncé en tweed usé aux coudes, il consultait nerveusement sa montre à gousset, chronométrant mentalement ces pauvres bougres qui s’exécutaient en maugréant quelques injures étouffées.</p><p>Le soleil glissait lentement vers l’horizon embrumé d’un smog épais. Dans la lumière déclinante, le navire se reflétait fièrement dans l’eau aux moirures huileuses de l’East River. Le brouhaha des docks était constant et régulier, comme un pouls constamment audible dont la ville était le cœur. Un vent léger faisait à peine vibrer le gréement neuf et les espars en bois reluisaient des gouttes de la pluie tombée dans l’après-midi.</p><p>— Vous leur donnez du fil à retordre, Albert. Laissez-les donc faire. Vous allez les vexer et n’en serez pas mieux servi.</p><p>Dit d’une voix calme et caverneuse, ce trait de sagesse avait fait sursauter le méticuleux contrôleur, lui faisant presque tomber sa montre des mains.</p><p>Figure carrée, légèrement émaciée, cernée d’une barbe sans moustache qui le faisait ressembler à Abraham Lincoln, un nez droit emmitouflé dans une longue écharpe carmin dont une extrémité volait au vent, le capitaine Benjamin Briggs s’était discrètement approché de son second, qui tenait si fiévreusement l’équipe de chargement en bride.</p><p>— Mais capitaine, à ce train-là, on ne sera jamais dans les temps, protesta-t-il.</p><p>— Vous êtes bien trop pessimiste. Nous prendrons le temps nécessaire pour faire un bon départ.</p><p>Le ton était devenu plus tranquille et un léger rehaussement des pommettes faisait deviner le sourire sous l’écharpe.</p><p>Albert Richardson, commandant en second de la Mary Celeste, allait répondre pour justifier son empressement, mais un geste bref de son interlocuteur lui fit comprendre que c’était inutile.</p><p>— Rentrez vous reposer, je reprends la supervision. J’ai besoin de vous en pleine forme demain matin quand nous appareillerons.</p><p>— Je vous remercie capitaine, répliqua Richardson, manifestant dans sa reconnaissance une obséquiosité de subalterne discipliné. Il rajusta sa casquette à visière où brillait une ancre marine de laiton savamment poli, puis sans demander son reste tourna les talons et s’éloigna d’un pas martial, sous le regard amusé de son supérieur.</p><p> </p> Mon, 28 Jun 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-2-vers-les-docks /blog/histoires-de-mer/chapitre-2-vers-les-docks